Chapitre VI : La Formation
66. Finalité du document
Les orientations données dans l'exposé précédent sont destinées à ceux qui ont le devoir et la responsabilité de la formation des candidats au sacerdoce et des étudiants des divers Instituts théologiques. Elles ont été préparées dans l'intention de faciliter et de stimuler le travail éducatif dans le domaine de la doctrine sociale; il ne fait aucun doute que les enseignants sauront en tirer profit pour une bonne organisation des contenus et des méthodes de l'enseignement. Le but du document est en effet de mettre en évidence, dans l'étude de cette discipline, les points fondamentaux et par conséquent indispensables à une solide formation théologique et pastorale des futurs prêtres.
On estime pour cela opportun de consacrer le présent chapitre à des indications concrètes qui promeuvent la préparation spécifique des professeurs et structurent mieux la formation des élèves.
1 La formation des professeurs
67. Formation théologique, scientifique et pastorale
Il n'est pas nécessaire d'insister sur le fait que le bon accueil de la doctrine sociale de l'Eglise de la part des étudiants dépend dans une grande mesure de la compétence et de la méthode d'enseignement des professeurs. L'acquisition de ces qualités requiert de leur part une grande préparation, qui ne peut être garantie seulement par un certain nombre de cours de doctrine sociale donnés dans les limites des études philosophiques et théologiques.
C'est pour cela que les évêques et les supérieurs des Centres de formation ecclésiastique ont la grave responsabilité d'envoyer quelques élèves, capables et intéressés, aux Facultés des Sciences Sociales et aux autres Instituts supérieurs similaires, approuvés par l'autorité ecclésiastique, afin de pouvoir disposer ainsi d'enseignants dotés d'une formation scientifique adéquate. L'Eglise désire que de tels enseignants, à qui est confiée la formation du clergé, soient choisis parmi les meilleurs et possèdent une solide doctrine et une expérience pastorale convenable, unie à une bonne formation spirituelle et pédagogique.143
L'on ne doit pas oublier par ailleurs que pour l'enseignement de la doctrine sociale, la simple connaissance des documents correspondants du Magistère ne suffit pas. Il est nécessaire que les professeurs possèdent une ample et profonde formation théologique, soient compétents en morale sociale et connaissent au moins les éléments fondamentaux des sciences sociales modernes. Par ailleurs, il faut promouvoir une étroite collaboration avec les professeurs de morale, de dogmatique et de pastorale afin de garantir la cohérence, l'unité, la solidité de l'enseignement et finalement de permettre aux élèves d'avoir une vision synthétique de la théologie et de la pastorale. Il faut aussi chercher à ce que la formation doctrinale et la formation pastorale soient étroitement jointes à la formation spirituelle.144
68. Fonction des sciences sociales
Comme l'on a déjà indiqué plus haut (nn. 10.50), la doctrine sociale de l'Eglise ne peut se passer des sciences sociales, si elle veut se maintenir en contact avec la vie de la société et avoir une incidence effective sur la réalité pastorale. Pour cette raison, on recommande vivement aux professeurs de doctrine sociale de s'intéresser à la bonne réussite de la préparation pastorale des candidats au sacerdoce, en tenant compte que dans l'enseignement ils ne peuvent se limiter seulement " à rappeler les principes généraux ", mais qu'ils doivent se préoccuper de les développer " par une réflexion mûrie au contact des situations changeantes de ce monde, sous l'impulsion de l'Evangile comme source de renouveau".145
II s'en suit qu'il est aussi de leur devoir d'initier les élèves à l'usage des moyens qu'offrent les sciences humaines, selon les normes de l'Eglise.146
Les sciences humaines, en effet, sont un instrument important pour évaluer les situations changeantes et établir un dialogue avec le monde et les hommes de toute opinion.147 Elles offrent à l'enseignement social le contexte empirique, dans lequel les principes fondamentaux peuvent et doivent être appliqués; elles mettent à disposition un abondant matériel d'analyse pour l'évaluation et le jugement des situations et des structures sociales; elles aident à prendre une orientation dans les choix concrets à faire. Sans doute, dans l'étude et dans l'intérêt pour les sciences sociales, on doit éviter le danger de tomber dans les pièges des idéologies qui manipulent l'interprétation des données, ou dans le positivisme qui surévalue les données empiriques au détriment de la compréhension globale de l'homme et du monde.
69. Formation permanente
C'est un fait évident que la réalité sociale et les sciences qui l'interprètent sont sujettes à un continuel et rapide changement. Pour cette raison, est tout particulièrement nécessaire la formation permanente des professeurs, qui garantit leur " aggiornamento " continu. L'absence de contact étroit avec les nouvelles problématiques et les nouvelles orientations au niveau national, international et mondial, comme aussi avec les nouveaux développements de la doctrine sociale de l'Eglise, peut priver d'intérêt et de capacité formative leur enseignement.
70. Expérience pastorale
Pour que les professeurs puissent enseigner la doctrine sociale non pas seulement comme une théorie abstraite, mais comme une discipline orientée vers l'action concrète, l'expérience pastorale directe leur sera très utile. Cette expérience sera diversifiée selon les lieux, les situations, les capacités et les propensions de chacun, mais toujours choisie et organisée de manière à favoriser le caractère concret, valable et incisif de l'enseignement.
2 La formation des élèves
71. Instruction pastorale
Dans l'esprit du Concile Vatican II et du Code de Droit Canon, l'aptitude au ministère pastoral des candidats au presbytérat s'obtient par le moyen d'une formation intégrale, attentive à faire croître tous les aspects de la personnalité sacerdotale: humains, spirituels, théologiques et pastoraux. On peut faire un discours analogue pour la préparation des laïcs à l'apostolat.
A ce propos, on doit se rappeler que, bien qu'il soit vrai que toute la formation ait une finalité pastorale, il est cependant nécessaire de prévoir pour tous une instruction spécifiquement pastorale,148 qui tienne compte aussi de la doctrine sociale de l'Eglise.
72. Dans le cadre de cette formation, qui sans doute requiert et inclut, comme l'on a dit, une préparation théologique adéquate pour l'annonce de la Parole selon les exigences des personnes, des lieux et des temps et pour le dialogue de l'Eglise avec le monde, il faut susciter chez les élèves l'intérêt et la sensibilité pour la doctrine et la pastorale sociale de l'Eglise. En ce sens, le Code parle de la nécessité d'éduquer les futurs prêtres au " dialogue avec les personnes " et de les sensibiliser aux " tâches sociales " qui reviennent à l'Eglise.149
73. Cours de doctrine sociale
Quant à l'espace à réserver à la doctrine sociale à l'intérieur du programme des études dans les Centres de formation ecclésiastique, il apparaît clairement, en conformité avec ce qui a été dit, qu'il ne suffit pas d'en traiter en quelques leçons facultatives à l'intérieur des cours de philosophie et de théologie, mais qu'il est indispensable de programmer des cours obligatoires qui s'en tiennent à cette discipline.
Quant à savoir le moment le plus opportun pour cette étude, il dépend de l'organisation scolaire des divers Centres et Institutes de formation. Il pourrait être utile de disposer les cours tout au long du déroulement de la formation des élèves. Cette solution assurerait la nécessaire continuité et la gradualité de l'étude et permettrait de mieux comprendre les notions de philosophie sociale et de théologie présentes dans les divers documents. En tout cas, il est indispensable que, durant la formation, soit garantie la connaissance des grandes encycliques sociales.
Celles-ci doivent être la matière de cours spéciaux et représenter une lecture obligatoire pour les étudiants. Leur approche devra tenir compte du contexte socio-culturel dans lequel elles furent écrites, des présupposés théologiques et philosophiques sur lesquels elles se basent, de leur relation avec les sciences sociales et de leur signification pour la situation actuelle.
Par ailleurs, en connexion avec les documents de l'Eglise universelle, on devra étudier aussi les problématiques sociales des Eglises particulières et locales.
74. Fondement philosophico-théologique
En plus de la sensibilisation pastorale pour les problèmes sociaux, il est nécessaire d'offrir aux élèves un solide fondement philosophico-théologique sur les principes de la doctrine sociale et sur ses relations interdisciplinaires. Ce fondement est de particulière importance dans la situation actuelle de " dialogue avec le monde ", que vit l'Eglise en mettant en pratique les orientations du Concile Vatican II. En effet, les prêtres tout comme les laïcs engagés dans l'apostolat social sont fréquemment interpellés par des idéologies radicales et totalitaires, tant collectivistes qu'individualistes, par des tendances sécularisantes quand ce n'est pas directement par un sécularisme étranger à l'esprit chrétien.
75. Le message authentique et intégral du Christ
Comme l'on a déjà dit, la formation théologico-pastorale et spirituelle de tous ceux qui veulent se consacrer à l'action sociale comporte la sensibilisation aux divers problèmes de la société, l'habitude d'évaluer, selon les critères de la doctrine sociale de l'Eglise, les situations, les structures, les systèmes économiques, sociaux et politiques. Elle comporte, en outre, une préparation spécifique afin de pouvoir œuvrer adéquatement aux divers niveaux et dans les différents secteurs de l'activité humaine.
Mais, par-dessus tout, une telle formation requiert que laïcs et candidats au presbytérat prennent conscience du devoir de rendre témoignage au Christ au milieu du monde par leur action. En particulier, les évêques et les prêtres sont appelés à prêcher le message du Christ de telle sorte que toute l'activité temporelle des hommes reste imprégnée de la lumière de l'Evangile.150 Sans aucun doute, la contribution essentielle de l'Eglise dans le domaine social est toujours l'annonce intégrale de l'Evangile: annonce qui réserve d'ailleurs une grande attention aux problèmes sociaux.
L'interprétation de l'Evangile et son application à la réalité sociale de l'homme d'aujourd'hui sont donc essentielles dans la formation théologique et interdisciplinaire des élèves et ont une valeur déterminante pour l'efficacité de la pastorale. Dans cette formation, le témoignage de vie, la prédication et l'action ne peuvent se séparer, car ils sont unis dans la personne même de Jésus, dans l'Evangile et dans la tradition de l'Eglise.
76. Les premières expériences pastorales
Durant la période de la formation, on conseille d'orienter les étudiants vers des expériences de caractère pastoral et social, qui les mettent en contact direct avec les problèmes étudiés, comme cela est déjà en train de se faire en certains Pays avec des résultats positifs. Dans cette formation, il importe beaucoup que les étudiants soient pleinement conscients du rôle spécifiquement sacerdotal de l'action sociale, spécialement souligné en ces derniers temps en plusieurs occasions tant par le Magistère de l'Eglise universelle que par celui des Eglises particulières. Sont beaucoup conseillés les visites et les dialogues des étudiants, accompagnés de leurs professeurs, avec le monde du travail — entrepreneurs, travailleurs, syndicats — avec les organisations sociales et avec les secteurs marginaux.
77. Devoir du prêtre à l'égard des laïcs
Fait partie de la formation à la pastorale sociale l'instruction des élèves sur le devoir et sur la méthode à suivre pour faire prendre aux laïcs une conscience toujours plus vive de leur mission et de leur responsabilité dans le domaine social. Dans cette perspective, le devoir du prêtre est d'aider les laïcs à prendre conscience de leur rôle, de les former tant spirituellement que doctrinalement, de les accompagner dans l'action sociale, de participer à leurs fatigues et à leurs souffrances, de reconnaître l'importante fonction de leurs organisations au plan apostolique comme au plan de l'engagement social, de leur donner le témoignage d'une profonde sensibilité sociale. L'efficacité du message chrétien dépend donc, outre l'action de l'Esprit Saint, du style de vie et du témoignage pastoral du prêtre qui, en servant les hommes de manière évangélique, révèle le visage authentique de l'Eglise.151
78. Conclusion
Finalement, la Congrégation pour l'Education Catholique, en remettant le présent document à leurs Excellences les Evêques et aux divers Instituts d'études théologiques, souhaite qu'il puisse offrir une aide valable et une orientation sûre pour l'enseignement de la doctrine sociale de l'Eglise. Un tel enseignement, s'il est donné correctement, saura sans doute inspirer un nouvel élan apostolique aux futurs prêtres et aux autres travailleurs pastoraux, en leur indiquant la route sûre pour une action pastorale efficace. En considération des multiples nécessités spirituelles et matérielles de la société d'aujourd'hui, signalées en tant d'occasions par le Souverain Pontife Jean-Paul II, on ne peut que désirer que chaque candidat au sacerdoce devienne un messager éclairé et responsable de cette expression moderne de la prédication évangélique qui est la plus valable pour proposer des remèdes efficaces aux maux de notre époque et contribuer ainsi au salut du monde.
Ce sera le devoir de leurs Excellences les Evêques et des Responsables des Instituts de formation sacerdotale de veiller par tous les moyens à ce que ces " Orientations ", dûment éclairées et intégrées dans les programmes de formation, puissent produire la reprise de la préparation doctrinale et pastorale, qui est aujourd'hui attendue et qui répond à nos désirs communs.
Rome, du Palais de la Congrégation, le 30 Décembre 1988.
WILLIAM Card. BAUM, Préfet - JOSÉ SARAIVA MARTINS, Arch. tit. de Tuburnica, Secrétaire